Voyage en Europe
Alors, voilà... Tout ça a commencé l'automne dernier, lorsque je me suis commis dans un concours de critique de film... (Le premier article se trouve à la toute fin)
7/19/2015
8/04/2012
Huitième jour à Cannes : 24 mai
Cette
fois j’irai voir On the road, le film
de Walter Salles, lui qui nous a fait connaître les aventures de Che Guevara à
moto et qui maintenant adapte le livre de Jack Kerouac à l'écran. Quelques scènes de
voiture et de bars ont été tournées au Québec, paraît-il, mais le cinéaste brésilien et sa troupe ont
dû être mal informés puisque, dans les alentours de Montréal, en plein été, ils s’attendaient plutôt à tourner les scènes avec
de la neige. Malheureusement pour eux,
les neiges éternelles sont beaucoup plus au Nord. Donc ils ont dû tourner ces scènes-là
en Argentine finalement. Et oui, il y a de la neige, quelque part là-bas, quand il fait chaud au Québec.
J’étais
dans les premiers arrivés. Si à l'avance qu’il a fallu attendre un
moment sous un chapiteau avant de gravir les portes du
Soixantième. Quand on a bougé pour attendre un peu plus haut, une heure durant, les premiers arrivés se sont fait charger par le soleil, moi compris. En digne festivalier, j'avais ce qu'il fallait. C'est que la température est différente
chaque jour, donc j’ai toujours : de la crème solaire, un parapluie, un
vêtement chaud. Assis sur le tapis toujours rouge, cette fois ma capuche m'a servi pour me cacher du soleil. Chacun combattait à sa façon le soleil, le temps. Ça ne jasait pas fort fort dans la file d’attente... Après une heure, nos
places étaient bien méritées. Je me suis permis de m’asseoir au beau milieu de
la cinq ou sixième rangée. Engloutie, ma dernière gorgée d’eau, il m’a
fallu demander à ma voisine si elle voulait bien surveiller ma place un moment.
En revenant des toilettes, ma place était encore libre ; la dame l’avait bien
défendue. « C’est que vous l’avez bien méritée, cette place ». Oui, c’est vrai. Et
le rituel vidéo d’ouverture accompagné de la petite musique commençait,
quelques-uns ont pris une photo du logo officiel, affiché à la fin du publicitaire.
Je
doute que l’on puisse dire du mal de On
the road. On a fait beaucoup de bruit au sujet du choix des acteurs ; on
tenait absolument à ce qu'un plus ou moins proche de Jack Kerouac vivant encore approuve le choix de Sam Riley dans le rôle de Jack Kerouac. Mais bon,
pour ceux qui ne connaissent que les mots de Jack Kerouac, disons que si Sam
Riley avait eu la gueule ou la barbe d’Allen Ginsberg, on ne se serait pas
plaint pour autant ; les héros en questions n'avaient pas encore de visage connu. C'est plutôt du côté du récit, s'il avait été trahi de quelque façon que l'on se serait plaint. Ce ne fut pas le cas. À mes yeux, l'adaptation porte peut-être un peu trop sur la relation
entre Sal Paradise et son ami Dean. Mais peut-être est-ce là ce qui explique
la réussite du film. À la lecture, j’avais complètement oublié Dean, et je me foutais
bien que Sal Paradise termine la soirée, puis le voyage seul. Alors que dans le
film, c’est la fin du monde, on pense que Sal va mourir, et tout. Il y a là une
grande différence entre le film et le roman, et c’est la façon d’idolâtrer
Dean. Lorsqu’on lit le roman, ce sont les mots de Sal Paradise ; on ne
l’oublie pas, on lui concède une force qui est celle de narrer. Mais à l’écran, on ne voit et ne pense qu’à Dean. On
oublie plutôt Sal. C’est plus facile dans le roman de dire que Dean est un
beau salaud, alors que tout au long du film, il est charmant. C'est la faute du regard cinématographique, qui a le pouvoir de nous rendre attrayants les personnages les plus repoussants.
Rassasié
d’un peu plus de deux heures de cinéma, il me fallait me rendre à l’autre bout
du centre-ville pour attraper un programme de courts métrages. Quelques jours plus tôt, dans une file d’attente,
j’avais demandé du feu à quelqu’un, et j’étais tombé sur une directrice artistique
et un directeur photo brésiliens, à peu près de mon âge. Ils m’avaient demandé si je présentais un
film dans le cadre du festival. Eux, c’était le cas. Je me rendais donc ce
jeudi-là à la projection de leur film, Os
mortos-vivos ; Les morts-vivants. Je me demandais ce que le film dirait sur la
jeune génération brésilienne. Finalement, disons simplement que je n’ai pas particulièrement aimé leur film. (En retapant les mots de mon journal, je dois d'ailleurs me confronter à l'absence de souvenirs que j'en ai...) Sinon, parmi les cinq
courts métrages, il y a Wrong Cops que
j’ai trouvé très drôle, et qui m’a marqué d’abord par un casting surprenant :
Marylin Manson joue le rôle d'un adolescent un peu nerd,
écouteurs aux oreilles. Et il y a ce flic qui deale de la drogue aux jeunes, leur refilant la marijuana qu'il camoufle dans
des rats morts. Ce qui donne lieu à une scène du genre : le policier est assis sur le
trottoir, un jeune vient le rejoindre à vélo, la transaction se fait, et le
jeune demande : « Et je fais comment avec ça ? – Eh bien, tu l’ouvres, petit
con ». Puis, il y a la rencontre avec le jeune que joue Marylin Manson. On peut voir le début de la scène dans cette bande-annonce : http://vimeo.com/43598374. Choqué par ce que le jeune écoute, le policier va finalement kidnapper Marylin Manson pour lui faire écouter de la
vraie musique. Le jeune prend peur, et se sauve. Le policier tire dans sa direction à bout
portant, mais atteint plutôt le voisin. Et le court métrage se termine sur une
belle note : le policier cherche un endroit où larguer le cadavre. Peut-être est-ce dû au fait qu’il n’y a pas beaucoup de comédies à Cannes, mais disons que celle-là a fait du bien.
Pour terminer la journée, je voulais aller voir le film de Catherine Corsini, Trois Mondes, qui était présenté à 22h15. J’avais tout mon temps pour me rendre au Collège avant la représentation. J’ai pris quelques photos. J’ai même fait du lavage. J'ai bêtement abîmé le chandail que je m'étais procuré en souvenir : un chandail noir avec une chaise de réalisateur blanche, à laquelle il manque malheureusement depuis des bouts de pattes de chaise (j'ai omis de laver le précieux chandail à l'envers). Sur l’heure du lunch, j’ai parlé avec un Russe, de Moscou. C’est un de ceux qui ne parlaient à personne ou presque. On se retrouvait souvent à la même table. La discussion a commencé comme elle commence d’habitude. « So, where are you from ? ». Et puis j’en ai profité pour lui demandé comment on dit bon appétit en russe. « Priyatnagha appetita », ou quelque chose du genre. Il avait le type des jeunes de grandes villes ; il portait des vêtements disons urbains, avec une coiffure, assez courte, à la mode. Il était plutôt petit, mince, et blond ce à quoi on peut sans doute le reconnaître comme Russe. Pour continuer, je lui ai demandé : « What the 18 years old guys are doing in Moscow ? Do they listen to music and do skateboarding ? – Yeah, they do ». On ne savait pas trop quoi se dire. On n’a pas parlé de la répression policière en Russie, de Vladimir Poutine, ni de leur système économique. Plutôt, on a parlé des États-Unis. Il m’en parlait comme d’une cause perdue, d'une façon un peu nonchalante. « The United States are sitting on a bomb », il disait. Je ne comprenais pas exactement. Et dans la même phrase il disait être content de vivre en Russie puisqu’en Russie il y a le lac Baïkal, la plus grande réserve d’eau potable du monde. Pour conserver la pureté de l’eau, ils ont exproprié à peu près tous ceux qui s’y étaient installés. On aurait dit, de la façon qu’il parlait, qu'ils préservaient le lac Baïkal pour une éventuelle fin du monde. Je ne savais pas si c’était des expressions, ou si je devais le prendre au pied de la lettre. Un moment, ce jeune me faisait presque peur. Me trouvant soudainement sympathique au destin des Américains, je lui rappelai qu’ils avaient trouvé un moyen de transformer n’importe quelle eau en eau potable. En fait, je ne savais ni qui ni quand ni comment, mais la discussion s'est terminée avec une raison de plus pour haïr les Américains. « Why do they not save all the Africans with this ? » J'étais d'accord, alors ma réponse a pris la forme d'un aveu : « Because they would not make money... ».
Pour terminer la journée, je voulais aller voir le film de Catherine Corsini, Trois Mondes, qui était présenté à 22h15. J’avais tout mon temps pour me rendre au Collège avant la représentation. J’ai pris quelques photos. J’ai même fait du lavage. J'ai bêtement abîmé le chandail que je m'étais procuré en souvenir : un chandail noir avec une chaise de réalisateur blanche, à laquelle il manque malheureusement depuis des bouts de pattes de chaise (j'ai omis de laver le précieux chandail à l'envers). Sur l’heure du lunch, j’ai parlé avec un Russe, de Moscou. C’est un de ceux qui ne parlaient à personne ou presque. On se retrouvait souvent à la même table. La discussion a commencé comme elle commence d’habitude. « So, where are you from ? ». Et puis j’en ai profité pour lui demandé comment on dit bon appétit en russe. « Priyatnagha appetita », ou quelque chose du genre. Il avait le type des jeunes de grandes villes ; il portait des vêtements disons urbains, avec une coiffure, assez courte, à la mode. Il était plutôt petit, mince, et blond ce à quoi on peut sans doute le reconnaître comme Russe. Pour continuer, je lui ai demandé : « What the 18 years old guys are doing in Moscow ? Do they listen to music and do skateboarding ? – Yeah, they do ». On ne savait pas trop quoi se dire. On n’a pas parlé de la répression policière en Russie, de Vladimir Poutine, ni de leur système économique. Plutôt, on a parlé des États-Unis. Il m’en parlait comme d’une cause perdue, d'une façon un peu nonchalante. « The United States are sitting on a bomb », il disait. Je ne comprenais pas exactement. Et dans la même phrase il disait être content de vivre en Russie puisqu’en Russie il y a le lac Baïkal, la plus grande réserve d’eau potable du monde. Pour conserver la pureté de l’eau, ils ont exproprié à peu près tous ceux qui s’y étaient installés. On aurait dit, de la façon qu’il parlait, qu'ils préservaient le lac Baïkal pour une éventuelle fin du monde. Je ne savais pas si c’était des expressions, ou si je devais le prendre au pied de la lettre. Un moment, ce jeune me faisait presque peur. Me trouvant soudainement sympathique au destin des Américains, je lui rappelai qu’ils avaient trouvé un moyen de transformer n’importe quelle eau en eau potable. En fait, je ne savais ni qui ni quand ni comment, mais la discussion s'est terminée avec une raison de plus pour haïr les Américains. « Why do they not save all the Africans with this ? » J'étais d'accord, alors ma réponse a pris la forme d'un aveu : « Because they would not make money... ».
Et
je suis monté à ma chambre avant de me rendre à la salle Debussy. Le couple d’amis, avec qui j’avais fait la file hier soir, était au rendez-vous. J'allais entendre à nouveau leur formule favorite :
« Oh, on s’est barrés avant la fin ». J’étais pour le moins
scandalisé : « Quoi ? Vous n'êtes pas restés jusqu’à la fin pour le film d’Amélie Van ? » « Les scènes étaient parachutées » restait leur argument le plus fort. «
Mais on a qu’à le faire, le pont entre les scènes. Et d’ailleurs, pour ceux qui
aiment les road movies, c’était génial.
En fait, après la projection, la jeune belge nous a parlé de comment s’est
passé le tournage. Elle a écrit et tourné le tout en deux mois à peine. C’est
qu’elle voulait tourner avec un certain David, un acteur de théâtre, qui n’était
libre que trois semaines durant le mois d’août, alors elle a couché un premier
jet en un mois et demi, et ils ont tourné les trois semaines qu’il pouvait, sur la route, pour
finalement réaliser le tout en deux mois. Elle arrivait parfois pour le
tournage et réécrivait des scènes, ou les imaginait sur place, comme le faisait
Godard. – Oh, mais voyons, on ne peut plus faire du cinéma comme Godard. On en est
plus LÀ. – Je pense le contraire. Il devrait en avoir plus de films comme ça ». En tout cas, je ne savais pas qu’on pouvait rester de glace devant un road movie. Soit
c’étaient des puristes, soit ils ne partageaient pas ce besoin de partir vers un
ailleurs. Reste que la discussion ne s’envenimait pas pour autant. Et qu’elle s’est
poursuivie d’agréable façon jusqu’à l’ouverture des portes.
Cette fois c’était à mon tour d’être déçu, et,
j’allais le savoir plus tard, à leur tour d’être conquis. Le film de Catherine
Corsini, Trois Mondes, a de quoi
laisser perplexe. Un jeune homme d’affaire, qui va bientôt se marier, happe à
mort un piéton avec sa voiture, un soir de fête. Une dame, du haut de son
balcon, voit la scène. Voit l’homme en veston sortir de son véhicule, pour constater
les dégâts, et prendre la fuite ensuite. La femme se précipite sur les lieux, et
ne peut rien faire pour la victime ; elle entend ses quelques mots, incompréhensibles. Puis elle appelle la police. La victime,
inconsciente, est transportée en ambulance. Quelques jours plus tard, la femme
et le chauffard se croisent dans l’ascenseur de l’hôpital, tous deux ayant quelques
soucis pour la victime. La femme le reconnaît. Le dilemme : elle qui s’est
liée d’amitié avec la femme de la victime, va-t-elle vendre le jeune
homme d’affaire, et ruiner sa carrière ? Elle observe le futur mari quelques
jours, et finalement va à sa rencontre. Elle lui dit savoir qu’il est le responsable de l’accident, et tout. La tension augmente lorsque la victime rend
son dernier souffle.
Ils en viennent à un accord, il trouvera des sous pour venir en aide à la
veuve, pour payer les coûts élevés d’hospitalisation, les frais d’enterrement
; la veuve veut enterrer son mari dans leur pays d’origine. Ça devient compliqué, la veuve veut savoir qui est le coupable, la femme ne veut pas le lui dire. L’improbable, certains diront le
cinématographique surgit, quand la jeune femme au cœur tendre tombe amoureuse du
futur mari, et qu'ils font l’amour dans la voiture qui a tué l’immigrant. Toutes les
réactions sont possibles. Soit on sympathise avec la femme, soit on est dégoûtés
d’une telle situation ; autant de l’homme que de l’adultère, soit on trouve
tout simplement le film un peu trop tiré par les cheveux. Désolé, pas mon genre... Mais bon, je n'allais pas « me barrer » pour autant.
7/30/2012
Septième jour à Cannes : 23 mai
Mercredi.
Le dilemme : être ou ne pas être à temps pour On the road. Le film probablement le plus attendu
des voyageurs dans mon genre, qui ont lu, assurément, le roman de Jack Kerouac
à un moment ou un autre de leur vie. Lire une deuxième fois une œuvre romanesque
est un luxe que je m’offre rarement. Même chose pour les films. Comme les
souvenirs d’un rêve les souvenirs d’un livre ou d’un film sont minces et nous
font résumer notre expérience à
peu de choses ; quelques détails et sentiments. C’est là l’essentiel. Disons
alors que j’apprécie les adaptations pour ce qu’elles me font revivre. Pour On
the road, je me
souvenais du début très clairement, des mots que disait Sal Paradise, qui nous
racontait de quelle façon il préméditait un voyage dans l’Ouest, jusqu’à son
départ, son premier embarquement, et qu’il se retrouve alors seul dans une
boîte de camion, à boire au goulot, puis à pisser par-dessus bord, ou quelque
chose comme ça. Il y avait ses allées et venues, ses rencontres, ses souvenirs,
sa débauche, sa sagesse, le récit nous faisant parcourir le continent d’est en
ouest, du nord au sud, jusqu’à se terminer au Mexique. C’est un genre de récit,
d’écriture, auquel je m’identifie beaucoup, et nécessairement il devenait
impossible pour moi de ne pas tenter ma chance ce matin-là, et de me rendre au
palais des festivals à temps pour la première représentation, celle de 8h30.
Plus
je m’approchais du centre-ville, plus je sentais qu’il y avait de la fébrilité
dans l’air. De vieux campeurs et de vieilles motos style Che Guevara
traversaient la rue principale dans le but d’animer l’imaginaire collectif.
J’étais bien loin d’être le seul au rendez-vous. Il y avait masse. Des gens de
tous âges, chacun ayant en main un carton sur lequel était inscrit : « An
invitation for On the road please
/ Une invitation pour On the road S.V.P.
». Ils étaient là depuis un moment déjà, arrivés bien avant moi. J’avais
espoir. Je me suis rendu au chapiteau québécois, puisque la SODEC a participé à
la production du film, et donc avait reçu quelques invitations, pour les
quelques scènes tournées au Québec. Je m’y étais rendu hier soir, et m’étais
adressé à la représentante de la SODEC avant de rencontrer un monsieur qui,
lui, allait avoir une invitation en trop dans le cas où il en recevrait deux
plutôt qu’une. En y retournant hier soir, vers 19 heures comme on me l’avait
demandé, malheureusement, sous le chapiteau québécois, on ne parlait pas
invitation en trop. Mais j’ai tout de même voulu m’y rendre avant la
représentation, au cas où. Il n’y avait presque personne, et ça ne parlait pas
invitation en trop. Pas de chance. Alors je me suis rendu au petit comptoir là
où certaines personnes retournent leur invitation. Il a fallu attendre un
moment avant de me rendre à l’évidence ; pour On the road, jamais il n’y aura d’invitation en
trop. Bon, d’accord. Promenons-nous un peu, regardons, et mêlons-nous à la
foule qui est là pour le film de Walter Salles.
À
la sortie du palais des festivals, à l’une des deux sorties obligées pour ceux
qui viennent de passer au comptoir pour prendre leur invitation, les
quémandeurs en file formaient un corridor pour accueillir les porteurs de
badge. Quatre ou cinq personnes m’ont demandé si je n’avais pas une invitation
en trop. J’ai préféré enlever un moment mon badge. Je me demande combien
d’entre eux ont pu voir la première, et combien ont tenu bon jusqu’à la
deuxième représentation, vêtus chiquement, et chaudement, depuis le matin,
alors que cette tenue est exigée pour le soir seulement. Paraît-il que pour les
représentations du matin, pour les films en compétition officielle, une
projection débute une heure après le premier coup d’envoi, dans la salle du
Soixantième, pour les journalistes qui n’ont pas pu entrer dans le théâtre
Louis-Lumière principalement. Finalement, je n’ai pas osé y aller, je me suis
dit plutôt que je serais de la partie pour la projection du lendemain. J’ai
réenfilé mon badge, et me suis rendu au Marché du film. J’ai fait un tour au
Short Film Corner, puis suis allé prendre mes courriels. Toujours pas de
nouvelle du Devoir.
J’avais le goût d’un expresso. Le petit verre à la main, j’ai croisé quelques
uns des cégépiens. Ils m’ont dit que Xavier Dolan avait accepté de les
rencontrer. Ils l’avaient recroisé le lendemain de la projection de Laurence
Anyways, et malgré de
nombreuses entrevues derrière lui, le cinéaste leur a livré un long témoignage
à propos de son cheminement cinématographique et scolaire. Puis nous avons
parlé quelque peu des films que nous avions vus. Nous étions là, à chercher
quoi faire, pour la même raison ; ils n’avaient pas eu plus de chance que moi
dans la quête de billet.
Changement
de plan. Je décide de tenter le coup pour le film de Léos Carax, Holy Motors. La représentation est à midi, ça me
donne le temps de faire un petit tour à l’épicerie. Vers 11 heures et demi, je
suis près du comptoir, à l’affût. Ce n’est pas bien long que je vois un premier
poisson. Il est au comptoir, et demande à retourner son invitation. On lui dit
qu’il est trop tard pour les retours. Et il fait marche arrière. Le monsieur du
comptoir me regarde : « C’est pour Holy Motors que tu es là ? – Oui, oui. – Alors il
faut le suivre ! ». Et je fais quelques pas de course en tentant d’être
discret. Je rejoins le grand monsieur, qui fait peut-être 1m90, a les cheveux
blonds et bouclés, et s’exprime en anglais. « Sorry, Sir, do you have an
invitation for Holy Motors ? – Yeah, but it’s a personnal invitation. See,
there’s my name on it : Nick Muys. So I don’t think you can get it… ». Pas trop sûr de ce que
j’allais dire, je lui réponds : « Yeah, sure I can, see I have the correct
accreditation, so I can get there for you. – Well, ok, let’s try it. – Thank
you Sir ! ». Et le scénario recommence. Je cours jusqu’à la file d’attente. Un
couple ayant vu mon invitation jaune, et mon badge, me demande si au moment de
faire valider nos billets, je peux dire aux agents que je les accompagne. Pas
de problème. Finalement, on ne peut qu’accompagner une personne, alors la
copine a dû se trouver quelqu’un d’autre que moi. Tout s’est bien passé. Je
monte les marches menant au balcon quatre à quatre, fais inspecter mon sac, qui
pourtant contenait une bouteille d’eau et une banane, et je me trouve une
place, dans la partie droite de la salle, à peu près à la même hauteur que pour
le film de Hong Sang-Soo.
C’est
le genre de film qui te place dans un état de complète incompréhension. Léos
Carax se joue en quelque sorte du spectateur, à savoir que toutes les questions
que l’on peut se poser à propos du personnage principal viennent à être
répondues, mais de façon absurde. Monsieur Oscar a pour travail semble-t-il de
vivre chaque jour plusieurs vies. Ce jour-là, monsieur Oscar a neuf
rendez-vous, il sera tantôt une espèce de monstre vivant dans les égouts,
tantôt un père de famille qui va chercher sa fille à une fête d’amis, tantôt un
tueur à gage, tantôt un acteur pour un jeu vidéo, et cætera. La limousine dans
laquelle il se fait déguiser, avant de le conduire en différents lieux, le mène
finalement chez lui. Nous voyons à ce moment-là, à la toute fin, qui est sa
vraie famille ; des chimpanzés. Il leur raconte sa journée, tout ce qui a de
plus normal, puis le film se termine dans le stationnement des limousines Holy
Motors, lesquelles discutent ensemble de leur peur d’être un jour inutiles. Une
des dernières fois que je me suis senti autant repoussé par un film, ça a été
en regardant Naked Lunch.
Toutes tentatives de comprendre ce qui se passe à l’écran deviennent vaines, et
notre interprétation allant dans tous les sens rend la lecture du film
épuisante. Je serais curieux de revoir le film, en ne cherchant pas cette fois
de lien entre les vies,
mais plutôt en leur attachant un genre cinématographique, et de voir de quelle
façon chacune des vies dialogue avec un genre de cinéma en particulier. Pour ce
qui est du chapitre dans la vie du monstre, il me semble qu’il y a là une
allusion à la fois directe et confuse au Cabinet du docteur Caligari. Il s’agit du moment où le monstre se
rend dans un cimetière, où il y a un shooting photo. La scène tourne au drame lorsque le
directeur du shooting
demande au monstre s’il veut bien monter sur scène aux côtés de la jeune
mannequin, afin de prendre une photo dans le style The Beauty and the Beast. Après s’être fait attaqué par les flashs
et les projecteurs, le
monstre disjoncte, fonce droit vers le directeur photo, lui mord le et
l’arrache de ses dents. Puis il se sauve, la jeune mannequin dans les bras,
afin de l’amener chez lui, au fond des égouts. Il me semble que ce même
kidnapping, entouré de circonstances semblables, se retrouve dans le film qui a
mis au monde l’expressionnisme allemand. Et cette scène, à mes yeux, est
centrale dans le film de Léos Carax. Non seulement elle est la mieux réussie,
mais elle est la plus choquante, et donc la plus compréhensible. Elle est aussi
la métaphore de ce côté plus désarçonnant du film ; pour le cinéphile habitué
au format hollywoodien, Holy Motors est un véritable peep-show. Et il y a une telle emphase sur le type
de narration proposé, qu’assurément on se demande de quelle façon Holy
Motors dialogue avec le
septième art. Ce dialogue se fait de façon moins directe qu’avec Videodrome par exemple, mais Holy Motors fait partie de ce genre de films, qui
porte probablement un nom, que j’ignore, mais dont je serais curieux de voir, à
l’aide d’Holy Motors et
de Naked Lunch par
exemple, si nous ne pourrions pas leur trouver une filiation avec Le cabinet
du doteur Caligari et
l’expressionnisme allemand, en comptant sur leur expressionnisme narratif et
esthétique.
À
la sortie du film, fatigué et déboussolé, je me suis rendu à la salle Bunuel,
pour je ne sais plus quel film, mais il n’y avait plus de place. Il y avait une
dizaine de petites salles où des films étaient présentés de façon indépendante.
En faisant le tour des lieux, étant prêt à entrer dans n’importe quelle salle,
j’ai croisé mon ami Saïd, qui s’était fait invité à tout hasard à l’une des
projections, par un jeune réalisateur américain. Saïd me fait signe. Je ne
l’avais pas vu. Contents de la coïncidence, nous faisons la file ensemble. Au
moment d’entrer dans la salle, le réalisateur fait signe à la placière de nous
laisser passer. Il y avait une trentaine de places dans la salle. Après les previews interminables des autres films de la
boîte de production, Janked
commençait. Un film policier. Les excès que ce genre de film suppose étaient
tout simplement lamentables. Un film hollywoodien, mais à petit budget. Ça
tourne carrément à la comédie. Un moment je vois un des Mile-Endais se lever
pour quitter la salle. Un moment j’y pense aussi. Disons que Saïd et moi nous
sommes restés par respect pour l’auteur. La fin avec la femme qui finalement
est un fantôme a de quoi laisser perplexe.
Puis
nous nous sommes séparés. J’avais prévu me rendre ensuite au cinéma Les
Arcades, pour la projection de 20 heures d’un des films présentés dans le cadre
de l’ACID (l’Association du Cinéma indépendant pour sa Diffusion). Parmi
l’agenda des projections de l’ACID, c’est d’abord La tête première, le premier long métrage d’une jeune
belge, Amélie Van Elmbt, qui avait attiré mon attention. Ne croyant pas avoir
le temps d’y aller, monsieur Lefeuvre m’avait donné sa passe pour que je puisse
assister aux représentations de l’ACID. Ma position dans la file m’assurant
d’une place, je pouvais alors dire que j’avais fait, sommairement, le tour des
salles, et de ce qui s’offrait à moi. Puis je me trouvais aux côtés d’un couple
d’amis qui tenait une salle en région parisienne. Les deux messieurs voyaient
quatre, cinq, voire six films par jour depuis déjà plus d’une semaine. Ils
avaient peu de bonnes choses à dire sur les films déjà vus. L’un d’eux
terminant ses critiques le plus souvent par : « On s’est barrés avant la
fin », je me suis mis à croire qu’ils débutaient quatre, cinq ou six films par
jour, mais n’en achevaient pratiquement aucun. Léos Carax, Walter Salles,
Brandon Cronenberg, et Apichtapong
en ont pris plein la gueule. Seuls Le Grand Soir, Vous n’avez encore rien vu, Laurence Anyways, et un film d’animation (Ernest et Célestine), avaient reçu quelques éloges.
Finalement, la discussion est devenue plus intéressante lorsqu’ils m’ont parlé
de leurs expériences antérieures. Ils m’ont parlé premièrement d’un film
algérien, Hors-la-loi,
dont la projection avait suscité une polémique en France, en 2010. Certains
croyaient que sa projection allait être interdite à Cannes. Le film de Rachid
Bouchareb, qui raconte les persécutions des Algériens par les Français, de 1945
jusqu’à leur indépendance, a tout de même pu compétitionner dans la sélection
officielle, même s’il donne un regard peu flatteur sur le FLN. Une présence
importante de corps policiers s’est tout de même fait sentir le jour de la
projection. Puis ils m’ont parlé d’un film de Stanley Kubrick, Les sentiers
de la gloire, qui lui
est resté longtemps interdit en France, tout comme Octobre à Paris, un documentaire sur les persécutions
des algériens lors d’une manifestation à Paris en 1961, lors de laquelle on ne
sait pas combien sont morts, beaucoup ayant été balancés dans la Seine, alors
qu’ils manifestaient pacifiquement. Après 50 ans d’interdiction, le film avait
été projeté en septembre dernier, lors d’un festival. Alors ça été à mon tour
de faire une petite chronique sur les censures et les films interdits dans mon
pays. Pendant plus de trente ans, entre 1928 et 1961 je crois, on a refusé
l’accès aux enfants de moins de 16 ans dans les salles de cinéma, lorsque le
film présenté ne leur était pas destiné. Puis, des premières projections
jusqu’à la fin des années soixante, les religieux ont censuré scrupuleusement
tout film portant une atteinte à la morale catholique, jusqu’à saboter le récit
d’un film comme Frankenstein (1931),
ou City of the Lights (Chaplin),
et refuser d’autres films comme Metropolis (Fritz Lang), voir tous ceux tournés en
16mm en 1947. Sous Maurice Duplessis, même les ciné-parcs, ont été interdits ;
c’étaient des lieux de péché !
Puis
la discussion est redevenue plus contemporaine, finalement ils avaient bien
aimé aussi le film de Thomas Vinterberg, The Hunt, puis d’autres films présentés dans le
cadre de la Quinzaine comme
No, Enfance clandestine et
Adieu Berthe. La
journée se finissait donc en beauté avec La tête première. La réalisatrice Amélie Van Elmbt a
présenté son film, en compagnie de l’acteur principal, puis le road movie a commencé.
7/26/2012
Sixième jour à Cannes : 22 mai
J’ai
pu attraper le petit-déjeuner à la dernière minute ce matin. Il ne restait pas
beaucoup de fruits, mais le pain un peu sec et des céréales m’ont rassasié.
J’avais entendu de bons commentaires au sujet du film Le Grand soir lorsque je m’étais rendu à la projection de Valse, et puis ça n’en prenait pas plus pour me
convaincre. La représentation était à 11 heures, donc c’était parfait pour les
heures de sommeil dont j’avais besoin. Je suis arrivé assez tôt, et dans la
file d’attente j’ai pu terminer ma lecture de L’immortalité, un essai de Milan Kundera, qu’il désigne comme la
vraie version de L’insoutenable légèreté de l’être. Une des premières idées avancées par Kundera dans
cet essai est à propos de l’éternité des gestes. Aux dires de l’auteur, nous
puiserions nos expressions corporelles dans une banque restreinte de gestes qui
sont, pour la plupart, aussi vieux que le premier des hommes. Un geste ne peut
donc pas être original, puisque nous n’en sommes pas le créateur, ni le
titulaire. Et Kundera pousse l’idée plus loin en disant que nous ne choisissons
pas les gestes qui nous animent, mais que ce sont les gestes qui nous
choisissent. Et l’essai se poursuit en abordant plus longuement la vie intime
de Goethe, à savoir de quelle façon l’on a construit son immortalité, le tout
entremêlé d’histoires d’amour plus contemporaines, écrites de façon plus
narrative, mais tout aussi philosophique.
Puis
j’ai dû me lever, et suivre la foule qui s’avançait vers la salle Debussy. Au
moment de traverser les barrières, comme à l’habitude, j’ai montré mon badge à
l’agent de sécurité, vêtu d’un complet beige comme tous les autres agents du
palais des festivals. Et je monte les marches rouges, ensuite fait fouiller mon
sac de façon superficielle, pour finalement tendre les bras afin de me prêter
au détecteur de métal. Le tout se déroule en une minute à peine. Et je gagne le
parterre, me trouve une place de choix dans la partie plus à droite de la
salle. Je prends une photo du grand écran, sur lequel est inscrit le titre du
film, nettoie mes lunettes, regarde un peu partout, jusqu’à ce que Thierry
Frémaux vienne présenter le film de façon officielle. Cette fois l’équipe du
film n’est pas venue se faire féliciter, car j’ai cru comprendre que les
réalisateurs la dernière fois avait semé la pagaille sur la scène, ou quelque
chose comme ça. Alors cette fois on présentait le film sans ses réalisateurs.
Monsieur Frémaux s’est contenté de saluer le succès des autres films de Benoît
Délépine et de Gustave Kervern, pour nous dire enfin qu’un invité spécial se
trouvait dans la salle. Il s’agissait de Jean Dujardin. Le célèbre artiste
s’est levé un moment, sous les applaudissements, puis s’est rassis, étant
pratiquement le seul à occuper la rangée V.I.P. Puis j’ai aperçu, à la même
hauteur que moi, mais dans la partie gauche de la salle, le groupe de
Mile-Endais, à qui je devais ma présence à cette projection ; l’un d’eux tenait
absolument à voir le film, depuis le mois d’octobre, et m’en avait informé.
Puis Le Grand soir débutait.
Si
l’on considère la trame de fond du film, la crise des travailleurs en France,
c’est un film dans la lignée des Neiges du Kilimandjaro. Mais Le Grand soir traite le sujet beaucoup plus humoristiquement. Les
projecteurs sont braqués sur la vie d’un des deux frères Bonzini, qui d’abord
est menacé de perdre son emploi de vendeur de matelas, vu ses ventes qui
diminuent. N’acceptant pas cet échec, qui s’explique par la crise, celui-ci
sombre dans l’alcool, et un soir complètement saoul, il sème le chaos dans le
magasin de matelas, en sautant partout, pour finalement remettre sa démission.
Le lendemain, il se pointe au travail, et son supérieur lui montre la vidéo de
ses exploits d’hier, et la lettre de démission, visiblement écrite sous l’effet
de l’alcool. Il n’en revient pas. Sa situation s’aggrave, un moment il tente
même de s’immoler dans un centre d’achat, imbibé d’alcool, mais ne parvenant
pas à faire craquer l’allumette. Après son travail, inévitablement, il perd sa
femme et la garde de son enfant. Et c’est son frère, Not, le plus vieux punk à
chiens en ville, qui le prend sous son aile. Il lui apprend les rudiments de la
vie de sans-abri. De la façon de quêter, jusqu’à la façon de se coiffer, et de
se tatouer. L’ancien vendeur de matelas vient à prendre goût au mode de vie de
son frère, puis les deux frères organiseront ensemble un super party, invitant
tous les mécontents à se réunir, pour un Grand soir.
À
la sortie de la salle Debussy, je ne sais pas exactement ce que j’ai fait entre
aller voir aux objets perdus s’il n’y avait pas mon parapluie, et sortir
bredouille, bien qu’il dût y avoir une centaine de parapluies noirs ; ou bien
je suis allé à l’épicerie, me prendre un petit lunch et une bière, pour me rendre pénard au Collège, en
passant par la plage ; ou encore j’ai accouru au Collège pour le repas d’une
heure. Il me manque un bout entre les deux films.
Bref,
le soir, j’ai vu Operation Libertad, qui
était présenté à 21 heures, au Théâtre Croisette JW Marriott, dans le cadre de
la Quinzaine des réalisateurs.
(La salle est dans le deuxième sous-sol d’un casino, mais elle est super belle,
la salle.) Avec un grand naturel, le réalisateur, Nicolas Wadimoff,
nous a parlé de son film avant d’inviter tout le casting à monter sur scène. J’aime ce côté plus imprévu des
projections hors-concours, on se sent presque entre amis. Les présentations
sont plus chaleureuses, les invités prennent leur temps, et le plus souvent une
période de questions suit la projection. Le récit du film se déroule en Suisse.
Un papa, déçu de savoir que ses enfants ne le trouvent pas cool, se replonge dans une histoire survenue il y a plus
d’une trentaine d’années, en 1978, alors qu’il avait rejoint les rangs d’un
groupe de révolutionnaires. Sa rencontre avec le groupe qui allait organiser l’Opération
Libertad s’était faite de façon inusitée,
soit lors d’un concert punk. Depuis la fin de sa formation, il avait toujours
sa caméra avec lui, et lors de ce concert, son attention s’était portée sur un
groupe d’amis qui fêtait un anniversaire. D’abord il tourne des images de la
bande, puis se lie d’amitié avec le groupe de révolutionnaires. Celui-ci
réprouve quelque peu l’idée d’être filmé pendant la préparation de leur
opération, mais finalement y prend goût, se disant que des archives pourraient
être utiles un jour. C’est donc avec des images vidéos de qualité VHS, avec cette
esthétique popularisée par des films comme Le Projet Blair, que nous sommes mis au courant des activités
clandestines du groupe, jusqu’à l’accomplissement du projet ; l’enlèvement d’un
membre de la pègre se servant d’une banque suisse pour blanchir de l’argent.
Après le difficile enlèvement, le groupe décide d’envoyer les images de l’enlèvement
aux médias, y compris la confession du banquier à propos des activités
illégales de la banque. Mais rien ne se passe, les médias ne diffusent rien,
malgré l’enlèvement, et personne n’entend parler de l’opération. Se cachant
dans un endroit puis dans un autre, en possession des millions qu’allait
déposer le malfrat à la banque, le groupe disjoncte complètement lorsque son
prisonnier rend l’âme. Les membres quittent les rangs du groupe peu à peu,
jusqu’à la dissolution du groupe, et qu’un pacte de silence soit conclu. Si je
me souviens bien, on ne sait pas si Hugues décide ou non de rendre publiques
ses images, et si ses enfants maintenant le trouvent cool. Mais pour ce qui est du réalisme du film, disons que la recette fonctionne. On a envie
d’y croire.
En
faisant le chemin du retour, je regardais le trajet d’une façon particulière.
Malheureusement, le soir, mon appareil photo teinte ses prises de vue d’un
désagréable jaune.
7/24/2012
Cinquième jour à Cannes : 21 mai
Ce
lundi-là j’étais bien décidé à passer une journée digne des cinéphiles les plus
assidus. Je me suis levé vers 6h30, me disant que j’allais arriver à temps pour
Hors les murs, le premier film de David
Lambert, présenté à la salle Miramar à 8h30. Le buffet du petit-déjeuner
n’était servi qu’à 7h30, donc j’ai filé en direction du palais des festivals en
me prenant sur la route quelque fruit et pâtisserie. Puis, mon escale au stand
d’expresso fut inutile, puisqu’il n'ouvre ses portes qu’à 9 heures. Tout de même, après un bon trente
minutes, sinon quarante minutes de marche, j’ai pu atteindre la salle Miramar,
qui est la plus éloignée du Collège. Mon empressement, me faisant arriver près
d’une heure à l’avance, n’a pas été opportun ; j’ai gagné une bonne place, mais
il y avait tant de sièges libres que j’aurais bien pu arriver 5 minutes à
l’avance, et ce serait revenu au même, sans avoir à débourser pour le
petit-déjeuner.
Je
ne savais pas du tout à quoi m’attendre en allant voir Hors les murs, une co-production franco-québécoise, sinon que
c’était là la première œuvre d’un jeune cinéaste, vu la participation de son
film au concours La caméra d’or.
Encouragé par ma dernière expérience à la salle Miramar, je tentais donc le
coup à nouveau. J’ai apprécié spécialement le fait qu’on aborde dans ce film
les drames d’un couple homosexuel de façon humoristique. Je me souviens par
exemple de cette scène où, décidés à prendre une chambre d’hôtel, les deux
tourtereaux attendent une réponse du réceptionniste, qui mal à l’aise, tarde à
leur donner le OK. Lorsque l’un d’eux reçoit finalement la clé, il interpelle
le réceptionniste du genre : « Ça vous dirait de monter et de passer la
soirée avec nous ? ». Avant de pouffer de rire. Puis je pense à cette
scène où, dans une pharmacie, ils ne trouvent pas de condoms, et ils font un
tollé avec ça. L’un d’eux va même prendre l’interphone pour dire : « Salut
tout le monde, moi et mon amoureux, nous sommes gais, vous comprenez, et pour
passer une agréable soirée, nous aurions besoin de CONDOMS, alors si vous
voulez bien nous aider à en trouver, pour qu’on puisse baiser ce soir, ce
serait bien gentil, merci ». Et tout le monde dans le magasin trouve ça drôle,
le petit copain à côté est gêné. Et c'est pour ce genre de blague, je crois, que le film
a été apprécié. Par contre, vers la fin, une certaine lourdeur dramatique en a
découragé plus d’un.
Puis
je me suis rendu à la salle Debussy pour le film Djeca (Les Enfants de Sarajevo), sélectionné dans la
catégorie Un certain regard.
C’est avec une fébrile modestie qu’Aida Begic est venue présenter son deuxième
film, coiffée d’un voile. Djeca
aborde de l’intérieur les répercussions de la guerre civile qui eut lieu en
Bosnie-Herzégovine dans les années 1990, et plus précisément en sa capitale, Sarajevo.
Ce n’est pas un film politique, mais plutôt un film sur la relation d’une sœur
et de son plus jeune frère, qui, orphelins, sont aux prises avec différents
ennuis. L’histoire débute avec le frère qui lors d’une altercation à l’école
brise le iPhone du fils d’un important homme politique. Celui-ci demande
réparation, sans quoi la petite famille serait menacée de représailles. Même si
un iPhone équivaut pour elle à une semaine de salaire, la sœur s’engage à en
obtenir un nouveau pour celui qui n’était pas vraiment la victime dans
l’histoire. Au cours du film la relation entre le frère et la sœur ne fait que
s’envenimer, puis, au final, alors que le destin de chacun d’eux est critique,
voire que la prison attend probablement Rahima, ils se réconcilient. Peut-être
est-ce dû au fait que je ne comprenne aucunement la langue bosnienne, et donc
que j’ai eu à faire tout au long du film à un sous-titrage qui le plus souvent,
désolé, laisse à désirer, mais j’ai eu bien du mal à me plonger dans
l’histoire. Je dirais par contre avoir apprécié les choix narratifs, par
exemple le fait d’incorporer des images vidéo de la guerre civile, qui
probablement avaient été diffusées sur les chaînes de télé, et qui
nécessairement planent toujours et encore dans l’imaginaire de Rahima et de son
frère. Puis, ne sachant pas trop quoi penser du film, je suis sorti de la salle
Debussy, y oubliant mon parapluie.
On
m’a permis de retourner dans la salle, mais, pauvre de moi, toute recherche
était vaine. On m’a dit de repasser le lendemain. Je suis allé prendre un
expresso, puis j’ai fait le tour du Marché du film, allant prendre mes courriels et l’horaire de la
journée. Le film de Hong Sang-Soo avait attiré mon attention, et je me suis dit
que le moment était bien choisi afin de m’exercer dans la quête d’une invitation.
Alors je me suis rendu où devait se trouver le comptoir où les professionnels qui ont un meilleur
badge que moi retirent leurs invitations, ou bien vont les redonner quand ils ne
peuvent pas assister à la représentation. (En fait, leur badge se distingue par le petit « R » rouge inscrit sur leur badge, ce qui indique qu’ils peuvent réserver et retirer une
ou plusieurs invitations pour les représentations de la compétition officielle.) Le comptoir en question se trouve dans une petite salle où des ordinateurs sont mis à la
disposition de tous ceux qui veulent faire des réservations, puis chacun peut
ainsi se rendre par la suite au comptoir, pour faire scanner leur badge et imprimer leur invitation. Je
regardais ainsi la salle s’animer, avant de me rendre au kiosque d’informations
et y demander où je pouvais bien obtenir une des invitations qui avaient été
redonnées. La dame du kiosque m’a désigné le fameux comptoir, devant lequel
quatre ou cinq petites files étaient alignées. Je m’y rends donc, fais la
première file, et après trois ou quatre personnes, demande à la dame s’il n’y
avait pas une invitation pour le film de Hong Sang-Soo qui lui avait été
remise. Puis, non. Alors je me retire. Aperçois au loin un distributeur d’eau.
Prends un verre, remplis ma gourde. Et, un moment, un petit groupe se fait
remarquer devant le comptoir ; ça discutait invitations en trop. Alors je
m’approche, et finalement deux personnes font un échange d’invitation ; l’un
deux avait deux invitations, mais pour deux films différents, et il souhaitait
échanger l’une pour avoir un deuxième billet pour sa copine. Négatif... Je sens alors l’occasion
de retourner au comptoir, mais préfère emprunter une autre file, pour parler à
une autre personne. Je demande la même question, et on m’informe cette fois que
les invitations en trop ne sont retournées qu’une trentaine de minutes avant la
représentation. Bien. Alors je flâne un peu, me disant que j’allais revenir à
ce moment-là.
Je
retourne au comptoir donc vers 15h30, refais la toute petite file, m’adresse à
celui qui m’avait donné un peu plus d’informations qu’une réponse négative,
puis, encore, non. Le jeune homme me dit par contre d’attendre près de la file,
ce que j’ai fait. Mais personne n’allait au comptoir pour remettre son
invitation, on n’y allait que pour en retirer. Après quinze minutes, découragé,
je me suis dirigé vers l’extérieur. Je me suis promené près du théâtre
Louis-Lumière, constatant que j'étais loin d'être le seul à quêter pour une invitation. J’allais quitter le site quand j’ai vu trois personnes qui
semblaient parler invitations en trop. Deux jeunes, et une autre avec une enveloppe.
Lorsque je suis arrivé près du groupe, j’ai pu constater que l’enveloppe
contenait trois billets bleus ; ce sont les invitations qui permettent d’entrer
sans aucun badge. Je compris bien vite qu’il y en avait un en trop, donc un
pour moi. « Vous n’auriez pas une invitation pour le film de Hong Sang-Soo... ? –
Oui, bien sûr. Voilà. Mais il faut se dépêcher, la représentation commence
bientôt ! ». En deux temps trois mouvements, je lui dis mille mercis et je me
mets à courir vers la file d’attente. Il était 16 heures moins dix. Je doute
que les deux autres aient pu rentrer. Ils ne savaient peut-être pas que la représentation commençait à 16 heures, parce qu’ils sont restés là à contempler
leur billet. J’étais, je crois, parmi les dix derniers à
pouvoir entrer. On m’a fait monter au balcon, où, dans les dernières rangées,
bien en haut, j’ai pu trouver une place à l’extrême gauche. J’ai pris quelques
photos de la salle de cinéma qui ressemble plutôt à un amphithéâtre vu sa
grandeur. Beaucoup de gens n’étaient pas encore assis. Droit devant moi, deux
personnes se chamaillaient, puisque l’un d’entre eux avait été aux toilettes,
avait même laissé ses effets personnels sous son banc, et un autre avait pris
sa place. La placière est arrivée, et, ne pouvant régler le problème, a fait
conduire l’homme qui s’était fait piquer sa place vers le haut, vers les
rangées les plus obscures de l’amphithéâtre.
Avec un peu d’imagination, je me recréais l’atmosphère d’un événement sportif. Il ne manquait que les hot-dogs et les bretzels, une musique plus populaire et des accoutrements plus estivaux. Par contre, il y avait le grand écran. Plutôt que de montrer des spectateurs en délire, on y voyait ce qui se passait à l’extérieur, sur le tapis rouge. À ce moment-là, le grand écran nous tenait au courant de l’arrivée de Hong Sang-Soo sur le tapis rouge, puis de ses premiers pas à l’intérieur du théâtre, en compagnie de son équipe. Nous le voyions traverser le hall, puis les portes de la salle de cinéma, et tous les gens se sont levés pour l’accueillir, pour l’applaudir chaleureusement. Perché au haut du balcon, je ne voyais rien de mes propres yeux, mais comptais sur le grand écran pour m’informer. J’applaudissais moi aussi. Ce fut là un de mes moments préférés. Ce n’était plus une représentation cinématographique, mais un événement.
Avec un peu d’imagination, je me recréais l’atmosphère d’un événement sportif. Il ne manquait que les hot-dogs et les bretzels, une musique plus populaire et des accoutrements plus estivaux. Par contre, il y avait le grand écran. Plutôt que de montrer des spectateurs en délire, on y voyait ce qui se passait à l’extérieur, sur le tapis rouge. À ce moment-là, le grand écran nous tenait au courant de l’arrivée de Hong Sang-Soo sur le tapis rouge, puis de ses premiers pas à l’intérieur du théâtre, en compagnie de son équipe. Nous le voyions traverser le hall, puis les portes de la salle de cinéma, et tous les gens se sont levés pour l’accueillir, pour l’applaudir chaleureusement. Perché au haut du balcon, je ne voyais rien de mes propres yeux, mais comptais sur le grand écran pour m’informer. J’applaudissais moi aussi. Ce fut là un de mes moments préférés. Ce n’était plus une représentation cinématographique, mais un événement.
Et
les lumières se sont éteintes. Les logos de chacune des maisons de production
ayant collaboré au film, habituellement célébrés par une ou deux personnes,
cette fois se faisaient recevoir avec beaucoup d’énergie. Il y avait un atmosphère de foule. Puis le film commençait. Même si Da-Reun
Na-Ra-E-Suh (In Another Country) se déroule
en Corée, Isabelle Huppert y joue le rôle d’une touriste américaine, alors nous
avons eu droit à des dialogues majoritairement en anglais, ce qui peut-être
nous a permis de leur répondre par un rire à la fois sonore et naturel. Alain
Resnais présentant la même journée son film Vous n’avez encore rien
vu, il me semblait inévitable de comparer les répétitions narratives présentes dans In Another
Country au film culte d'Alain Resnais, soit L’Année dernière
à Marienbad. En fait, une dizaine de fois
peut-être dans le film, la même histoire se répète, de façon différente. Voici
les quelques éléments dont se composent les chapitres du film de Hong Sang-Soo : Il y
a une jeune femme américaine qui arrive en Corée, afin de rejoindre son
amant. Celui-ci a un empêchement de dernière minute, et ne peut se rendre à
l’hôtel de façon immédiate. Parfois, elle l’attend, et rencontre un autre homme,
qui se rappelle l’avoir embrassée, qui tente de la séduire à nouveau, et ce
dans le dos de sa femme enceinte, qui l’attend dans une chambre de l’hôtel.
Parfois, elle décide d’abord d’occuper son temps en se rendant au marché. Alors
une jeune fille qui travaille à l’hôtel lui donne quelques indications, et de
peur qu’il pleuve, lui prête un parapluie. Et elle se rend plutôt à la plage,
où elle rencontre un lifeguard,
ce qui donne lieu aux scènes les plus comiques. D’abord les tentatives de
séduction de chacun d’eux sont vaines, puis les relations entre elle et le lifeguard, comme avec le futur papa, deviennent plus intimes.
Un moment le lifeguard réussit à
séduire la jeune américaine avec la chanson d’amour qu’il invente avec les dix
mots qu’il connaît d’anglais, alors que le futur papa, réussit je crois à
l’embrasser, et attire sur lui le mépris de sa femme et de son amie. Puis,
le plus souvent, le tout se déroulant dans l'ordre et dans le désordre, l’amant tant attendu fini par arriver, ce qui marque chaque
fois, mais différemment, la fin d’un chapitre.
J’étais
emballé tout au long de cette comédie audacieuse, et je m’en rappelle comme un
de mes films préférés vus à Cannes. Satisfait donc d’avoir vu trois films de
trois pays différents, je me rendais au Collège en croyant ma journée complète.
Je me suis allé à la salle d’ordinateur me disant que je réussirais peut-être
à envoyer une lourde vidéo faite pour ma copine, lui montrant ma chambre et lui
racontant mes quelques derniers jours, mais filmée en HD, et pesant plus d’un
gigaoctet, donc prenant plus de deux heures à envoyer. J’avais déjà essayé
sur le portable de Saïd, au stand du
Marché du film, et puis cette fois la tentative n’a pas été plus concluante que
les autres. Je devais abandonner l'ordinateur, inévitablement, et il arrivait je ne sais quoi, et le téléchargement s'arrêtait. Puis, ayant programmé le tout via wetransfer, c’est à ce moment-là que j’entends une énième fois parler
d’invitation en trop. Une des étudiantes du Collège avait réussi à avoir une invitation
pour la séance de minuit, mais comme c’était tard, et que ce n’était pas un
film de la compétition officielle, elle souhaitait l’offrir à quelqu’un
d’autre. D’abord elle le proposa à Caroline, qui était son amie et qui était la
surveillante de la salle d’ordinateur, mais Caroline a décliné son offre. Je me
retourne, la regarde, elle m’offre le billet, et, peu convaincu moi aussi vu
l’heure de la représentation, j’ai accepté en hésitant peut-être deux
secondes et demie ; comment refuser de vivre l’expérience du théâtre
Louis-Lumière une deuxième fois dans la même journée ? Impossible.
Je
ne devais donc pas être pressé de prendre le dîner. Et devais savourer le plaisir d’avoir une
seconde invitation bleue dans mes poches. Mais je ne me rappelle pas d’une discussion
en particulier, et j’imagine m’être rendu encore trop tôt à ma chambre, pour me
vêtir de mon habit de bal, ce qui n’était pas exigé pour la
représentation de minuit ; seulement pour celles de 19h30 et de 22 heures. On
m’avait parlé de Takashi Miike comme d’un réalisateur déjanté, ambitieux,
marginal. Et de son film comme d’une comédie musicale. Je ne savais aucunement
à quoi m’attendre. Arrivant un peu plus d’une heure à l’avance, me permettant
un détour dans un bar afin de prendre un Johnny Walker sur glace, jouant la
comédie jet set, j’ai pu être dans les premiers à prendre place dans la célèbre
salle. Une si bonne place que j’étais à deux pas de la rangée un peu plus
spacieuse que les autres ; celle où allait s’asseoir l’équipe du film. J’ai bien
sûr pris une photo, puis, à l’arrivée du cortège, ne sachant pas trop qui était
Takashi Miike, j’ai attendu de lui un signe, me disant ensuite que c’était
le petit monsieur arborant l’air grave. En fait, ils avaient tous un air assez
grave, comme s'il était naturel pour eux, tels des samouraïs, de répondre au stress avec sang-froid. Je n'avais pas du tout le même tempérament, puisque les photos que j'ai prises sont floues, ce qui ne peut s'expliquer que par mon énervement ; je n’étais pas si loin
d’eux, et disons qu’il ne manquait surtout pas de source de lumière.
Tous
les spectateurs étaient prêts et bien habillés quand on a vu les premières
images du film. Plus sanglant que les plus sanglants Mangas, Ai To Makoto (For Love’s Sakes), débute par un carnage, celui d’un
jeune rebelle qui s’en prend à une colonie de malfrats, pour on ne sait quelle raison. Puis, une jeune fille qui s’est méritée quelques coups de pieds
au visage tombe amoureuse du jeune rebelle portant une cicatrice au front.
Elle croit que son amour pourrait assagir Makoto, qui, intraitable, ne sait
vivre qu’en répandant force coups de point. Ai, fille d’aristocrates, fait
transférer Makoto dans son école, pensant qu’une meilleure éducation saura
calmer ses ardeurs. Ce qui choque celui qui aime profondément Ai. C’est un film
de genre auquel je ne suis pas habitué, qui a priori ne m’intéresse pas, mais
je dois dire que les effets visuels et sonores ont un quelque chose
d’exceptionnel, de grandiose. Le ridicule des discours chantés peut plaire
comme il peut bien vite devenir redondant, se multipliant les hymnes à l’amour
de Ai, les monologues haineux de l’amoureux déçu, et le cantonnement de Makoto
dans la violence, ne voulant pas être aimé.
À
la fin du film, les applaudissements se sont faits un peu plus réservés qu’à
l’égard de Hong Sang-Soo, mais cette fois je pouvais voir les réactions de
l’équipe du film. Je n’ai pu qu’être ému de voir la jeune actrice verser
quelques larmes, ne pouvant les retenir. Ce dut être une expérience
monumentale que d’avoir participé au tournage de ce film, puis de l’avoir vu
dans de telles conditions.
7/23/2012
Quatrième jour à Cannes : 20 mai
Sans être une grande révélation, ce film, disons, vaut la peine d’être
vu, tout comme une des rares œuvres québécoises présentées à Cannes ; Valse, un
court métrage réalisé par Martin C. Pariseau et Anthony Martino-Maurice, soit
deux des trois Mile-Endais que je croisais pratiquement chaque jour. Ce
dimanche-là, ils présentaient Valse à la salle 261 du Short Film Corner, à 17
heures. C’était probablement une des plus petites salles du festival. Il y
avait, si je me souviens bien, quatre rangées de trois bancs. Un avantage :
nous pouvons dire qu’ils ont fait salle comble. Chacun des spectateurs ne
semblait pas être là par hasard, mais bien parce qu’il avait été invité par le
trio. Après une brève présentation, un petit problème technique (on a mis le mauvais
film d’abord), Valse commençait. C’est une histoire assez courte ; le film dure
cinq minutes je crois ; un vieil homme tombe amoureux de la serveuse de café,
et un matin, poussé par l’envie d’inviter la serveuse à danser une valse, il
décide de dépoussiérer ses vieilles chaussures, mais au moment de les mettre,
quelque chose d’inattendu se passe : le cordon se rompt dans ses mains. À la
fin du film, je ne savais pas quoi dire, j’aurais aimé donner mon avis sur
telle ou telle chose. Je leur ai dit « bravo ». Ne sachant pas trop s’ils
espéraient mieux de ma part que de simples félicitations. J’aurais aimé avoir
une critique constructive, un point de vue original sur leur film, et les
intéresser à peut-être un jour adapter un de mes scénarios, vu leurs qualités
de réalisateur que je n’espère même pas un jour posséder. Et je quittais la
salle, sans avoir dit grand chose, mais encore titillé par leur choix musical ;
pourquoi avoir choisi un air si connu ? Le genre d’air que l’on reconnaît, mais
dont on ne sait pas le nom du compositeur bien sûr. Le genre d’air qui devient
pratiquement redondant dès la première note, qui rend l’atmosphère tout aussi
noble que quétaine ; un espèce de pince-sans-rire qui, justement, s’adapte au
ton particulier du film.
Et je me suis rendu au Collège, attrapant au passage Saïd qui, bien
costumé, se rendait au théâtre Louis Lumière en espérant dénicher un billet
pour Amour, le film de Michael Haneke. Peu convaincu d’une réussite, je me suis
plutôt rendu à la cafétéria, où l’on servait le repas, me disant que j’irais
voir le film de Thomas Vinterberg, The Hunt, la représentation qui suivait
celle du film de Haneke. Nous disant que Saïd aurait peut-être la chance
d’assister aux deux représentations, nous nous sommes donné rendez-vous dans
la file d’attente de dernière minute ; c’est là une autre façon d’accéder au
théâtre Louis-Lumière sans invitation, quand il reste de la place. Finalement,
mon ami n’a pas pu me rejoindre après le film d’Haneke. J’ai attendu une heure et demie je crois, j’étais le cinq ou le
sixième dans la file de dernière minute. Il pleuvait. Nous étions tous là, bien
habillés, sous la pluie. Je partageai un moment mon parapluie avec un monsieur
dans la cinquantaine, un pianiste de profession, qui a bien dû attraper la
grippe ce soir-là. Il a joué parmi les plus grands orchestres d’Europe avant de
changer de vocation, se consacrant à la musique de film. Il m’a demandé de
quelle façon j’utilisais la musique dans mes propres films, et, lui disant que
je n’en mettais aucune, il m’a répondu que c’était là un réflexe normal de
débutant : « soit ils n’en mettent aucune, soit ils en mettent trop ».
Vers 22 heures, on a retiré les barrières et fait entrer les gens. Les
V.I.P. entraient par un accès tout en face du tapis rouge, tandis que les
autres, qui avaient fait la file, entraient de chaque côté. Et tous montaient
les marches du tapis rouge, vêtus tous aussi chiquement les uns que les autres.
Profitant du moment, des inconnus se prenaient en photo entre eux, et parfois
les photographes prenaient un cliché d’une ravissante personne montant les
célèbres marches. Un écran géant, haut perché, nous montrait les images captées
par les caméras présentes, dont une qui était installée sur une grue mécanique.
Le tout accompagné par le discours d’un commentateur et d’une musique
entraînante. Un moment, à travers les photographes et les parapluies, j’ai pu
filmer Thomas Vinterberg, ne le voyant pas de mes propres yeux, mais à travers
la lentille de mon appareil photo seulement. Lors de la montée des marches du
réalisateur, les violons ont repris l’air que l’on fait jouer avant chaque film
en compétition, et dont j’ai oublié de demander le titre au pianiste qui était
avec moi sous le parapluie. Et nous entendions le commentateur continuer son
discours, voyions les explosions de flash, jusqu’à ce que la montée des marches
soit terminée, et que l’accès donc ne nous soit pas permise.
J’ai secoué mon parapluie et suis rentré tranquillement.
7/21/2012
Troisième jour à Cannes : 19 mai
Ce matin je me suis réveillé avec la bonne humeur de celui qui n'a pas
beaucoup dormi. Hier soir, en marchant vers le Collège, je tentai de mettre en
ordre certaines idées à propos du film d'Xavier Dolan et de quelques événements
survenus pendant la journée, et ce jusqu'à m'empêcher d'avoir l'idée d'avoir envie de
dormir. Disons que j'étais crinqué à l'idée d'arriver au Collège, et d'écrire enfin tout ce qui se bousculait alors dans mon être. Surtout qu'à ce moment-là, moi qui tiens habituellement scrupuleusement à écrire mes
aventures de voyage, dans mon journal de bord, il n'y avait rien d'écrit. Je me
disais que de prendre des tonnes de photos allait équivaloir. Mais ce soir-là
j'étais inspiré, et ne pouvait
qu'être écrit ce dont je voulais me ressouvenir plus tard, et qui peut-être
mériterait d'être partagé, en vue d'animer un jour un débat ou une discussion
quelconque.
Arrivé au Collège, donc, bien décidé à tacher quelques pages de papier,
mais ne sachant pas exactement où se trouvait mon journal de bord, j'ai demandé au receptionniste, fidèle au
poste, si son imprimante n'avait pas quelques pages en trop. «
Quatre, ce serait parfait ». Et finalement il m'en donna cinq ou six. « Génial
». Je monte les escaliers, débarre la porte, trouve Saïd endormi cette fois, allume la veilleuse, m'installe
sur le petit bureau. Deux ou trois heures ont passé, plus que
rapidement. Je n'avais qu'à suivre la ligne de pensée que j'articulais
un moment plus tôt, qui me faisait débuter mon texte comme
on entâme un journal intime, soit par le classique « cher journal », et cætera. En fait, mon intention inavouée était d'envoyer ma lettre au journal Le Devoir. (J'ai modifié le début, mais tout le reste
du texte précédent : Deuxième jour à Cannes : 18 mai, est à peu près l'exact de ce que j'ai envoyé au
journal Le Devoir le lendemain). Je débutai donc mon texte ainsi : « Cher journal, déjà quatre années se sont passées depuis les derniers mots que je t'ai écrits, pas très loin d'ici, depuis les rochers en bord de plage, lorsque mon père et moi sirotions un léger cidre de pomme, en regardant les avions décoller ». J'étais plein d'idées comme j'étais plein d'espoir, et je remplissais
le papier, en me permettant de prendre mille et un détours avant d'entrer dans le vif
du sujet. Ne sachant pas au moment d'écrire ma lettre que Le Devoir demande à ceux qui collaborent à la chronique Le courrier des lecteurs de limiter leur article à un
millier de mots, ne m'attardant pas non plus à compter les mots de ma lettre, je mis ma signature à la suite de trois mille mots, que j'allais devoir
retaper à l'ordinateur le lendemain, debout dans un stand du festival, avec un clavier azerty.
Et c'est dans la foulée d'hier soir que je me suis réveillé, vers 11
heures, prenant ma douche, prenant le brunch qui cette fois n'était plus
simplement un repas bourratif mais digne de mention : il y avait des crêpes
(Dieu sait que j'aime les crêpes), du bacon, des saucisses, des fromages, des
croissants, de la salade, de ce qui restait d'hier soir, bref de quoi ravir un
homme du Québec. J'étais bien décidé à aller voir le film de Brandon
Cronenberg, le fils du célèbre cinéaste canadien, qui lui aussi présentait un
film à Cannes, mais dans la compétition officielle. Après une heure et demie
d'attente pour Antiviral, qui ne s'est
pas avérée concluante, plutôt que de rentrer bredouille au Collège, je me suis
rendu au Marché du film, là où il
y avait un petit stand avec une
dizaine d'ordinateurs. Ayant prévu m'y rendre, j'avais avec moi mes quatre
pages recto-verso, mon appareil photo et son fils conducteur. J'ai écrit un
courriel à quelques amis, j'ai chatté avec ma tante Hélène, puis j'ai retranscrit ma lettre, que j'ai accompagnée de quelques photos.
Il était 14 heures quand la représentation du film de Brandon Cronenberg
a commencé et que la salle Debussy fermait ses portes. Vers 18 heures, je
n'avais pas encore terminé la tâche qui faisait de moi, je le croyais, un professionnel. Surtout que j'avais rendez-vous à 19 heures avec
mon ami Saïd pour une entrevue. Alors je lui ai écrit un courriel, auquel il a
répondu, afin de l'avertir de mon retard. Arrivant au Collège quelque
peu en retard pour le souper et le rendez-vous, j'allais continuer mes
activités de professionnel, me
consolant en me qualifiant ainsi, de cette journée sans avoir vu de films.
Saïd avait pris un peu d'avance avec ses émissions ; quelques entrevues
avaient duré plus d'une heure, et étaient intéressantes, alors elles allaient
être utilisées pour deux émissions plutôt qu'une. Je l'ai alors retrouvé dans
notre chambre peut-être encore plus serein qu'à l'habitude. Puis, après
quelques minutes, l'entrevue, ou plutôt la discussion, commençait. Saïd avait
fait quelques recherches sur moi, sur google, sur facebook, sur myspace, et
avait d'abord des questions sur mon passé de rappeur. Après une quinzaine de minutes, nous disant chacun qu'il
s'était passé quelque chose, Saïd
remarquait que son enregistreuse n'avait encore rien mémorisé. Nous remettant
vite de notre déception, nous avons recommencé, pratiquement de la même façon. Et l'émission s'est poursuivie, en suivant la progression de ma démarche
artistique, jusqu'à ce que nous abordions le contexte de ma présence à Cannes,
puis que j'explique ce que signifie pour moi, et plus généralement, le port du
carré rouge. Et qu'enfin l'enregistreuse indique qu'une heure s'était écoulée.
La discussion s'est continuée, off the record, Saïd me partageant sa compréhension
du phénomène québécois. Et, Saïd connaissant bien l'histoire du Maroc, nous
avons parlé du peuple arabe et du peuple québécois, et des variations langagières
à l'œuvre chez l'un et chez l'autre. J'étais fasciné. Il me faisait des démonstrations. Je lui
répliquai avec l'accent du Lac-Saint-Jean, et avec mes expressions chiacques
préférées : « T'es tu monté en tomb-ant
? » pour l'autostop, et « J'aime le way qu'ta jupe a hang » pour la
drague. Un moment nous parlions de colonisation et de décolonisation ; Saïd
me parlait des villes Melillia et Sebta, qui sur le territoire marocain sont
des villes inaccessibles pour ceux qui n'ont pas de passeport espagnol. Ces
villes autonomes, emmurées, et protégées par l'armée espagnole ne pouvant que
rappeler la colonisation pas si lointaine du Maroc, comme le font, au Canada,
de façon tout aussi absurde, les photographies du visage de la Reine
d'Angleterre.
Et nous faisions des comparaisons du Québec et du Maroc ; de Montréal et de
Tanger, pour la diversité des cultures, des climats, des religions, puis
quelques liens entre nos vies se dessinaient. Nous sommes tous deux issus d'une
transition qu'ont faite nos pères, qui ayant vécu de la
vie agricole durant leur jeunesse, vivaient maintenant en ville, au contact de ce qui a de plus
urbain. Mais plutôt qu'en rupture, nous nous considérons comme héritiers de ces deux modes de vie. En fait, nous avons grandi un
pied en ville et un pied à la campagne, et c'est peut-être ce qui nous a permis
de considérer notre culture dans son étendue et
ses dédoublements. L'ouverture d'esprit des Québécois est souvent prise en exemple,
et je dirais que Saïd, qui vit à Tanger donne également un bon exemple
d'ouverture d'esprit. Autant il aime sa langue, ses traditions, sa religion, sa
ville, autant il aime certaines influences extérieures, qu'il se
réapproprie en tant qu'artiste. Ainsi, Saïd me fit part de son attachement
pour Ibn Battouta, un célèbre découvreur, qui a voyagé en Chine, au 14e siècle, à dos de chameau, et qui a
probablement fait bien plus de découvertes que Marco Polo, mais dont je n'avais
bien sûr jamais entendu parler auparavant. Puis, quelques phrases plus tard, il me disait que son plus grand rêve était de faire un road movie.
Puis il était l'heure de dormir. Pendant que je brossais mes dents, Saïd
faisait sa prière. Je voulais lui demander de me traduire ce passage du
Coran, à savoir si ça pouvait ressembler à une prière chrétienne, et puis je me
suis résolu à lui demander comment dire « bonne nuit », en arabe.
Alors nous nous sommes dit tsebalahèrr,
« te réveiller avec de bonnes choses ». Et, en m'endormant, j'imaginais la vie de Saïd à Tanger. Je le voyais arriver du
travail, vers 18 heures, ouvrant la porte de son appartement, enlevant ses
sandales, se dirigeant vers la cuisine,
réconforté par le commun mélange d'épices dans l'air, par l'odeur de
viande halal dans le four, puis par sa femme qui l'accueille, ravie, et ses
deux enfants qui viennent les rejoindre pour compléter l'embrassade.
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